Deux Frances numériques qui s’ignorent

Deux Frances numériques qui s’ignorent

Le fossé n’est pas technologique. Il est culturel. Et il nous coûte très cher.

En apparence, la France avance d’un seul élan vers le numérique.
Dans les faits, deux mondes se croisent sans se comprendre : celui du public, et celui du privé.
Je l’ai vu de mes yeux à Numérique en Commun[s] 2025, et ce que j’y ai perçu dépasse de loin la question technique : c’est une fracture de culture, une faille de sens, et une perte collective.


Un pays, deux langages

Pendant deux jours, les tables rondes ont rivalisé de finesse sur la souveraineté, l’open source, les communs, l’inclusion.
Des débats nourris, sincères, brillants — mais souvent tournés vers eux-mêmes.
Le secteur public y parle avec un vocabulaire de garde-fous, de droits, de cadres, de garanties. Il porte une noble mission : protéger.
Le privé, lui, parle de productivité, de ROI, d’agilité, de time-to-market. Il cherche à survivre, à créer, à croître.

Deux logiques légitimes, mais deux cultures qui s’ignorent.

Et au milieu, un vide : aucun langage commun.
Pas de passerelle, pas de lieu où se tissent les compromis entre l’éthique et la performance, entre la décision collective et la réalité du marché.
Or c’est précisément là que tout se joue.


L’intelligence artificielle : miroir de nos incohérences

L’IA agit aujourd’hui comme un révélateur de culture.
Elle n’invente rien de nouveau : elle met en lumière nos contradictions.

Tant qu’on la perçoit comme un outil, un simple levier d’automatisation, on passe à côté de sa fonction essentielle :
→ celle d’interroger nos modèles,
→ de redéfinir nos responsabilités,
→ de repenser le rapport entre pouvoir, savoir et confiance.

L’IA ne crée pas le fossé entre secteurs ; elle le rend visible.
Elle révèle ce que nous n’avons jamais su relier : la gouvernance et l’innovation, la sobriété et la performance, le sens et la technique.

Et c’est bien pour cela que 80 % des projets IA échouent : non par manque d’algorithmes, mais par manque de clarté et de gouvernance.


Le grand malentendu français

Le secteur public expérimente sans oser industrialiser.
Le secteur privé industrialise sans toujours comprendre ce qu’il fait.
L’un pense la règle, l’autre le rendement — mais aucun ne pense le lien.

Les politiques publiques prônent la souveraineté numérique, pendant que la majorité des infrastructures critiques reste hébergée hors du continent.
Les entreprises privées cherchent l’agilité, mais reproduisent des modèles dépendants, opaques, peu alignés avec leur culture ou leurs valeurs.

Il n’y a pas de coupable, seulement une absence de cap partagé.


Ce qu’il faut reconstruire : des ponts, pas des plans

Nous ne manquons pas d’experts, ni de technologies.
Nous manquons d’un espace de dialogue lucide, où la puissance publique et la vitalité privée se rencontrent autrement que dans la défiance.

Ce qui manque à la France n’est pas une nouvelle feuille de route numérique.
C’est une culture commune de la décision : savoir dire non, savoir attendre, savoir pourquoi.
C’est cette culture que VEIA.AI tente d’incarner — entre le territoire et le boardroom, entre la donnée et la direction, entre la vision et le réel.

L’IA n’est pas un objectif : c’est un miroir.
Elle nous oblige à choisir ce que nous voulons devenir — pas seulement ce que nous voulons automatiser.


Et maintenant ?

Tant que nous resterons divisés entre ceux qui codent et ceux qui gouvernent, ceux qui innovent et ceux qui régulent, nous continuerons à perdre du temps, de la souveraineté et du sens.

L’avenir du numérique français ne se joue pas dans un laboratoire, ni dans une loi : il se joue dans la capacité à relier ces deux Frances.
À réconcilier la rigueur du service public avec l’audace du privé.
À faire de l’intelligence artificielle non pas un outil de plus, mais un catalyseur de maturité collective.



Christophe Picou
Fondateur de VEIA.AI
Conseil stratégique indépendant en gouvernance de l’IA
— “Décider juste, avant d’intégrer.”

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